La Lumière sortant par
soi-même des Ténèbres
Translation by Peter van den Bossche
Chant Premier
I
Le Chaos ténébreux étant sorti comme une masse confuse du fond du Néant, au
premier son de la Parole toute-puissante, on eût dit que le désordre l'avait
produit, et que ce ne pouvait être l'ouvrage d'un Dieu, tant il était informe.
Toutes choses étaient en lui dans un profond repos, et les éléments y étaient
confondus, parce que l'Esprit divin ne les avait pas encore distingués.
II
Qui pourrait maintenant raconter de quelle manière les Cieux, la Terre et la
Mer furent formés si légers en eux-mêmes, et pourtant si vastes, eu égard à
leur étendue? Qui pourrait expliquer comment le Soleil et la Lune reçurent
là-haut le mouvement et la lumière, et comment tout ce que nous voyons ici-bas,
eût la forme et l'être? Qui pourrait enfin comprendre comment chaque chose
reçut sa propre dénomination, fut animée de son propre esprit, et, au sortir de
la masse impure et inordonnée du Chaos, fut réglée par une loi, une quantité et
une mesure?
III
O! vous, du divin Hermès les enfants et les imitateurs, à qui la science de
votre père a fait voir la nature à découvert, vous seuls, vous seuls savez
comment cette main immortelle forma la Terre et les Cieux de cette masse
informe du Chaos; car votre Grand oeuvre fait voir clairement que de la même
manière dont est fait votre Elixir philosophique, Dieu aussi a fait toutes
choses.
IV
Mais il n'appartient pas à ma faible plume de tracer un si grand tableau,
n'étant encore qu'un chétif enfant de l'art, sans aucune expérience. Ce n'est
pas que vos doctes écrits m'aient fait apercevoir le véritable but où il faut
tendre, et que je ne connaisse bien cet Iliaste, qui a en lui tout ce qu'il
nous faut, aussi bien que cet admirable composé par lequel vous avez su amener
de puissance en acte la vertu des éléments.
V
Ce n'est pas que je ne sache bien votre Mercure secret, qui n'est autre chose
qu'un esprit vivant, universel et inné, lequel en forme de vapeur aérienne
descend sans cesse du ciel en terre pour remplir son ventre poreux, qui naît
ensuite parmi les soufres impurs, et en croissant passe de la nature volatile à
la fixe, se donnant à soi-même la forme d'humide radical.
VI
Ce n'est pas que je ne sache bien encore, que si notre Vaisseau ovale n' est
scellé par l'Hiver, jamais il ne pourra retenir la vapeur précieuse, et que
notre bel enfant mourra dès sa naissance, s'il n'est promptement secouru par
une main industrieuse et par des yeux de lynx, car autrement il ne pourra plus
être nourri de sa première humeur, à l'exemple de l'homme qui, après s'être
nourri de sang impur dans le ventre maternel, vit de lait lorsqu'il est au
monde.
VII
Quoique je sache toutes ces choses, je n'ose pourtant pas encore en venir aux
preuves avec vous, les erreurs des autres me rendant toujours incertain. Mais
si vous êtes plus touché de pitié que d'envie, daignez ôter de mon esprit tous
les doutes qui l'embarrassent; et si je puis être assez heureux pour expliquer
distinctement dans mes écrits tout ce qui regarde votre magistère faites, je
vous conjure, que j'aie de vous pour réponse: Travaille hardiment, car tu sais
ce qu'il faut savoir.
Chant Deuxième
Que le Mercure et l'Or du vulgaire ne sont pas l'Or et le Mercure des
philosophes, et que dans le Mercure des Philosophes est tout ce que cherchent
les sages. Où l'on touche en passant la pratique de la première opération que
doit suivre l'artiste expérimenté.
I
Que les hommes, peu versés dans l'école d'Hermès, se trompent, lorsqu'avec un
esprit d'avarice, ils s'attachent au son des mots. C'est ordinairement sur la
foi de ces noms vulgaires d'Argent vif et d'Or qu'ils s'engagent au travail, et
qu'avec l'Or commun ils s'imaginent, par un feu lent, fixer enfin cet Argent
fugitif.
II
Mais s'ils pouvaient ouvrir les yeux de leur esprit pour bien comprendre le
sens caché des auteurs, ils verraient clairement que l'Or et l'Argent vif du
vulgaire sont destitués de ce feu universel, qui est le véritable agent, lequel
agent ou esprit abandonne les métaux dès qu'ils se trouvent dans les fourneaux
exposés à la violence des flammes; et c'est ce qui a fait que le métal hors de
sa mine se trouvant privé de cet esprit, n'est plus qu‘un corps mort et
immobile.
III
C'est bien un autre Mercure et un autre Or, dont a entendu parler Hermès ; un
Mercure humide et chaud, et toujours constant au feu. Un Or qui est tout feu et
toute vie. Une telle différence n'est-elle pas capable de faire aisément
distinguer ceux-ci de ceux du vulgaire, qui sont des corps morts privés
d'esprit, au lieu que les nôtres sont des esprits corporels toujours vivants.
IV
O grand Mercure des philosophes! C’est en toi que s'unissent l'Or et l'Argent,
après qu'ils ont été tirés de puissance en acte. Mercure tout Soleil et tout
Lune, triple substance en une, et une substance en trois. O chose admirable! Le
Mercure, le Soufre et le Sel me font voir trois substances en une seule
substance.
V
Mais où est donc ce Mercure aurifique qui, étant résous en Sel et en Soufre,
devient l'humide radical des métaux, et leur semence animée? Il est emprisonné
dans une prison si forte que la Nature même ne saurait l'en tirer, si l'art
industrieux ne lui en facilite les moyens.
VI
Mais que fait donc l'art? Ministre ingénieux de la diligente nature, il purifie
par une flamme vaporeuse les sentiers qui conduisent à la prison. N'y ayant pas
de meilleur guide ni de plus sûr moyen que celui d'une chaleur douce et
continuelle pour aider la nature, et lui donner lieu de rompre les liens dont
notre Mercure est comme garrotté.
VII
Oui, oui, c'est le seul Mercure que vous devez chercher, ô esprits indociles!
puisqu'en lui seul vous pouvez trouver tout ce qui est nécessaire aux sages.
C'est en lui que se trouvent en puissance prochaine et la Lune et le Soleil,
qui sans Or et Argent du vulgaire, étant unis ensemble, deviennent la véritable
semence de l'Argent et de l'Or.
VIII
Mais toute semence est inutile si elle demeure entière, si elle ne pourrit , et
ne devient noire; car la corruption précède toujours la génération. C'est ainsi
que procède la nature dans toutes ses opérations; et nous qui voulons l'imiter,
nous devons aussi noircir avant de blanchir, sans quoi nous ne produirons que
des avortons.
Chant Troisième
On conseille ici aux alchimistes vulgaires et ignorants de se désister de
leurs opérations sophistiqués, parce qu'elles sont entièrement opposés à celles
que la véritable philosophie nous enseigne pour faire la médecine universelle.
I
O vous! qui pour faire l'Or par le moyen de l'art, êtes sans cesse parmi les
flammes de vos charbons ardents; qui tantôt congelez, et tantôt dissolvez vos
divers mélanges en tant et tant de manières, les dissolvant quelquefois
entièrement, quelquefois les congelant seulement en partie, d'où vient que
comme des papillons enfumés, vous passez les jours et les nuits à rôder autour
de vos fourneaux?
II
Cessez désormais de vous fatiguer en vain, de peur qu'une folle espérance ne
fasse aller toutes vos pensées en fumée. Vos travaux n'opèrent que d'inutiles
sueurs, qui peignent sur votre front les heures malheureuses que vous passez
dans vos sales retraites. A quoi bon ces flammes violentes, puisque les sages
n'usent point de charbons ardents ni de bois enflammés pour faire l'oeuvre hermétique?
III
C'est avec le même feu dont la nature se sert sous terre, que l'art doit
travailler, et c'est ainsi qu'il imitera la nature. Un feu vaporeux, mais qui
n'est pourtant pas léger, un feu qui nourrit et ne dévore point; un feu
naturel, mais que l'art doit faire; sec, mais qui fait pleuvoir; humide, mais
qui dessèche. Une eau qui éteint, une eau qui lave les corps, mais qui ne
mouille point les mains.
IV
C'est avec un tel feu que l'art, qui veut imiter la nature, doit travailler et
que l'un doit suppléer au défaut de l'autre. La nature commence, l'art achève,
et lui seul purifie ce que la nature ne pouvait purifier. L'art a l'industrie
en partage, et la nature la simplicité; de sorte que si l' un aplanit le
chemin, l'autre s'arrête tout aussitôt.
V
A quoi donc servent tant et tant de substances différentes dans des cornues,
dans des alambics, si la matière est unique aussi bien que le feu ? Oui, la
matière est unique, elle est partout, et les pauvres peuvent l'avoir aussi bien
que les riches. Elle est inconnue à tout le monde, et tout le monde l'a devant
les yeux; elle est méprisée comme de la boue par le vulgaire ignorant, et se
vend à vil prix; mais elle est précieuse au philosophe qui en connaît la
valeur.
VI
C'est cette matière, si méprisée par les ignorants, que les doctes cherchent
avec soin, puisqu'en elle est tout ce qu'ils peuvent désirer. En elle se
trouvent conjoints le Soleil et la Lune, non les vulgaires, non ceux qui sont
morts. En elle est renfermé le feu, d'où ces métaux tirent la vie; c'est elle
qui donne l'eau ignée, qui donne aussi la terre fixe; c'est elle enfin qui
donne tout ce qui est nécessaire à un esprit éclairé.
VII
Mais au lieu de considérer qu'un seul composé suffit au philosophe, vous vous
amusez, chimistes insensés, à mettre plusieurs matières ensemble; et au lieu
que le philosophe fait cuire à une chaleur douce et solaire, et dans un seul
vaisseau, une seule vapeur qui s'épaissit peu à peu, vous mettez au feu mille
ingrédients différrents; et au lieu que Dieu a fait toutes choses de rien, vous
au contraire, vous réduisez toutes chose à rien.
VIII
Ce n'est point avec les gommes molles ni les durs excréments, ce n'est point
avec le sang ou le sperme humain, ce n'est point avec les raisins verts, ni les
quintessences herbales, avec les eaux fortes, les sels corrosifs, ni avec le
vitriol romain, ce n'est pas non plus avec le talc aride, ni l'antimoine impur,
ni avec le soufre, ou le mercure, ni enfin avec les métaux mêmes du vulgaire
qu'un habile artiste travaillera à notre grand oeuvre.
IX
A quoi servent donc tous ces divers mélanges? Puisque notre science renferme
tout le magistère dans une seule racine, que je vous ai déjà fait connaître, et
peut-être plus que je ne devais. Cette racine contient en elle deux substances,
qui n'ont pourtant qu'une seule essence, et ces substances, qui ne sont d'abord
Or et Argent qu'en puissance, deviennent enfin Or et Argent en acte, pourvu que
nous sachions bien égaliser leurs poids.
X
Oui, ces substances se font Or et Argent actuellement et par l'égalité de leurs
poids, le volatil est fixé en soufre d'Or. O Soufre lumineux! ô véritable Or
animé! J'adore en toi toutes les merveilles et toutes les vertus du Soleil. Car
ton soufre est un trésor, et le véritable fondement de l'art, qui mûrit en
élixir ce que la nature mène seulement à la perfection de l'Or.