Par
Denis LABOURE
Ô Egypte,
ô Egypte...
De quelle Egypte parlons-nous ?
Contrairement
à ce que prétend une littérature facile, les écoles de Mystères n'existaient
pas dans l’Égypte pharaonique. L'hermétisme et les Écoles de Mystères
naissent à Alexandrie, dans une cité cosmopolite fondée en Égypte par les Grecs
et dont un tiers de la population est d’extraction juive. Ils empruntent
aux mythes issus de l’Égypte antique (Osiris, Isis, etc.) qu’ils
restituent dans un cadre fortement influencé par la culture grecque. Au cours
des deux siècles qui précèdent l’ère chrétienne, des textes circulent,
attribués à Hermès -dieu Grec- qui prétendent révéler l'antique sagesse
égyptienne. Réunis plus tard sous le nom de Corpus Hermeticum,
ils assurèrent la floraison des sciences hermétiques ; la magie, l'alchimie et
l'astrologie. L’Égypte qui rédige ces textes hermétiques et à laquelle
les rites maçonniques égyptiens font référence n’est donc pas
l’Égypte pharaonique, mais un monde égypto-grec. La datation exacte des
textes hermétiques ayant été plus tardive que leur traduction, nous ne pouvons
reprocher aux occultistes et aux rites maçonniques égyptiens d'avoir suivi les
auteurs grecs en considérant que l’Égypte dont ils parlaient était
l’Égypte pharaonique.
Mais ce
n’est pas à cette Égypte là que font référence les textes hermétiques et
les rites maçonniques égyptiens. Comme la Jérusalem céleste dans l’Apocalypse
ou La Mecque dans le Coran, toute révélation sacralise la terre où
elle advient et fait d’elle le centre symbolique du monde. De même, la
révélation hermétique survient au centre d’un univers -symbolique plus
que géographique-, incarné par la terre d’Égypte, décrite dans le Corpus
Hermeticum comme coeur
de la Création, foyer actif de la révélation. Cette terre est d’emblée
considérée comme entretenant des relations privilégiées avec le ciel,
favorisant ces échanges auxquels la Table d’Émeraude fait allusion
: " Ignores-tu donc, Asclépius, que
l’Égypte est la copie du ciel, ou, pour mieux dire, le lieu où se
transfèrent et se projettent ici-bas toutes les opérations qui gouvernent et
mettent en oeuvre les forces célestes ? Bien plus,
s’il faut le dire, notre terre est le temple du monde entier. "
L'égyptomanie du XVIIIe siècle
L'intérêt
pour la tradition égyptienne émerge plus nettement avec l'Académie
platonicienne de Florence, fondée en 1450. Traduit pour la première fois du
grec en latin en 1471 par Marsile Ficin, le Corpus Hermeticum
connaît une brillante diffusion puisque plus de trente-deux éditions en furent
réalisées. Puis on s'intéresse de plus en plus aux hiéroglyphes. L'égyptomanie
progresse notamment avec l'oeuvre d'Athanase Kircher
(1652), Oedipus Aegyptiacus.
L'un des ballets de Rameau s'intitule La naissance d'Osiris (1751).
L'abbé Terrasson, helléniste et académicien, édita en
1728 un roman pseudo-initiatique, Sethos ou
Vie tirée des monuments et anecdotes de l'ancienne Egypte.
Les initiations antiques en terre d’Égypte y étaient rapportées de façon
fantaisiste. Deux allemands, von Köppen
et von Hymmen, l'imitèrent
en publiant Crata Repoa
en 1770. L'on répandit dans tous les milieux une gravure due au talent de
Lenoir, qui représentait les cérémonies initiatiques au sein de la grande
pyramide. Bien d'autres auteurs peuvent être cités, mais ces quelques exemples
montrent combien le bain culturel égyptien est fécond à cette époque.
Au XVIIIe
siècle, l’antiquité est une composante du discours maçonnique, au même
titre que la chevalerie ou le plaisir de l’amitié. En Angleterre même, le
pasteur Anderson et le chevalier Ramsay font référence aux Mystères antiques. Au
début du XIXe siècle, l’Egypte devient le thème
majeur des auteurs de l’Ordre. La campagne d’Egypte
est passée par là.
En mai
1798, Napoléon Bonaparte s'embarque avec une force de 38000 hommes, répartie
sur 335 navires, et fait voile vers l’Égypte. Il s'empare d'Alexandrie le
1er septembre et défait les mamelouks devant les pyramides. Aussitôt, les
nombreux savants qui accompagnent l'expédition militaire se mettent à
l'ouvrage. Ils visitent les sites sacrés, prennent force notes et croquis et
rassemblent sur l'ancienne Égypte des documents, souvenirs et renseignements de
la plus haute importance. Ils copient à la main de nombreux textes
hiéroglyphiques. La découverte la plus fertile est faite à Rosette ; le
capitaine Bouchard y trouve une stèle comportant un décret en trois langues :
en hiéroglyphes, en égyptien démotique et en grec. Elle permit à Jean-François
Champollion de déchiffrer pour la première fois les textes de l’Égypte
pharaonique. Sa première communication sur l’alphabet égyptien eut lieu
le 17 décembre 1822.
Comme le
rappelle Jean Mallinger, la campagne d’Égypte
eut une autre conséquence. L'enthousiasme général pour l’Égypte amena de
nombreuses loges maçonniques du continent à modifier le cadre mondain dans
lequel les maçons anglais organisaient rituels et travaux de table. La
maçonnerie introduite par les britanniques, qui se réunissaient non dans des
temples mais dans des restaurants, se bornait à réciter les rituels par coeur en les ouvrant et les fermant par des cantiques. D'importants
travaux de bouche suivaient. La campagne d’Égypte favorisa un mouvement
déjà présent sur le continent, dont l’ambition était la pratique de rites
efficaces, par des initiés assemblés dans un local rappelant les temples
antiques. L'initié y était considéré comme une pierre vivante, dont la taille
s’effectuait au fil des travaux dans une ambiance d'étude et d'affection
mutuelle. " La haute Maçonnerie égyptienne " de Cagliostro
pour le courant hermétique et l’Ordre des " élus-cohen " de Martinès de Pasqually pour la gnose judéo-chrétienne témoignent de cet
effort. Aucune de ces deux réalisations ne survécut à son fondateur. Mais la
qualité de leur postérité plus tardive devait se révéler impressionnante.
Du divin Osiris à Maître Hiram
Voici
comment Franz Cumont, historien étranger à la franc-maçonnerie, résume la
résurrection d'Osiris. " Dès l'époque de la XIIe dynastie, on
célébrait à Abydos et ailleurs une représentation sacrée, analogue aux mystères
du moyen âge, qui reproduisait les péripéties de la passion et de la
résurrection d'Osiris. Nous en avons conservé le rituel : le dieu, sortant
du temple tombait sous les coups de Seth. On simulait autour de son
corps les lamentations funèbres, on l'ensevelissait selon les rites ; puis
Seth était vaincu par Horus, et Osiris, à qui la vie était rendue, rentrait dans son temple après avoir triomphé de la
mort. C'était le même mythe, qui, chaque année, au commencement de novembre,
était présenté à Rome presque dans les mêmes formes. Isis, accablée de douleur,
cherchait, au milieu des plaintes désolées des prêtres et des fidèles, le
corps divin d'Osiris, dont les membres avaient été dispersés par Typhon. Puis,
le cadavre retrouvé, reconstitué, ranimé, c'était une longue explosion
de joie, une jubilation exubérante dont retentissaient les temples et les
rues, au point d'importuner les passants. " La similitude entre ces
scènes et le mythe d'Hiram, assassiné, puis ressuscité et relevé par les
surveillants, est frappant pour tous les Enfants de la Veuve - Isis ? -
introduits au troisième degré. La superposition est d'autant plus intéressante
que la Bible ne dit rien de la mésaventure d'Hiram. L'antique mythe égyptien
s'est habillé de personnages bibliques, mais la trame de l'histoire est
identique. Et ce, au point que certains Rites maçonniques égyptiens, comme ceux
publiés dans Crata Repoa
en 1770 ou ceux du Souverain Grand Sanctuaire Adriatique actuel, ont restauré
le mythe d'Osiris en lieu et place de celui d'Hiram dans leurs travaux du
troisième degré.
Il est
illusoire de penser qu’une filiation historique ininterrompue aurait
permis aux secrets des Mystères antiques de parvenir jusqu'aux loges
maçonniques. Mais ils ne sont pas tombés du ciel et il est probable qu'ils y
sont parvenus par des lignées de mages et d'alchimistes qui oeuvrèrent
dans le silence de leur oratoire, avec ou sans patente ! Au XVIIIe siècle, les
loges leur servirent de support d’enseignement ou de vivier dans lequel
ils recrutèrent. Des hommes comme Cagliostro intégrèrent dans leurs rites
maçonniques les pratiques apprises dans des cénacles plus fermés. La
correspondance entre les symboles et cérémonies maçonniques et leurs
équivalents des Mystères antiques est l'oeuvre
délibérée des compilateurs des rituels, à qui étaient accessibles les ouvrages
de Plutarque, d'Apulée, de Jamblique, de Proclus, de Plotin, etc., ainsi que
tous les livres publiés avant 1700 sur les mystères de l'antiquité.
Les Rites maçonniques
égyptiens
Aux origines des Rites égyptiens
Lorsque
ces rituels furent rédigés, il y avait plus d'un siècle que le courant
rosicrucien avait revendiqué la continuité égyptienne. Ainsi, en 1617, Michael Maier écrit dans son Silentium
post clamores ; " les rose-croix sont
les successeurs des collèges des Brahmanes Indous, des Égyptiens, des Eumolpides d'Eleusis, des
Mystères de Samotrace, des Mages de Perse, des Gymnosophites d’Éthiopie, des Pythagoriciens et des
Arabes ".
Mais
rapprochons-nous de la franc-maçonnerie par les premières manifestations à
succès, car il y eut de fort nombreuses manifestations éphémères, surtout dans
les milieux aristocratiques, et d'autres qui échouèrent après quelques années
glorieuses. Le premier repère historique vérifiable semble être le prince
Raimondo di Sangro di San Severo
(1710-1771), Grand-Maître de la franc-maçonnerie napolitaine vers 1750 et très
ferré en alchimie. C'est aussi sous la grande maîtrise de ce prince que le
baron Tschoudy (1724-1769) instaura son rite
hermétique nommé " Étoile Flamboyante ". Son catéchisme
destiné aux apprentis, compagnons et profès proposait une description du Grand
Œuvre, mettant en parallèle l'explication alchimique des principaux
symboles maçonniques. On retrouve une trace de ce rite dans le
" Système philosophique des anciens Mages égyptiens revoilé par les prêtres hébreux sous l'emblème
maçonnique " qui était organisé en sept degrés. Ce système avait pour
chef à vie Charles Geille, né en 1753, qui était
Grand Maître du Temple du Soleil de la Société des Philosophes Inconnus,
société à but essentiellement alchimique. Citons la loge " Les Philadelphes " créée par le Vicomte François-Anne
de Chefdebien d'Armisson et
ses fils, dont cinq étaient chevaliers et officiers de l'Ordre de Malte. Cette
loge, créée en 1779, fut suivie de peu par le " Rite des Architectes
Africains " (comprenez, " Égyptiens ") créé en
1767 par un officier de l'armée prussienne, Friedrich von
Köppen, et co-auteur avec von
Hymmen de Crata Repoa (1770). Ce livre prétendait décrire
l’initiation antique qui se donnait dans la grande pyramide en sept
degrés (Pastophore ; Nécophore ; Mélanophore
; Christophore ; etc.). Deux Français, Bailleul et Desétangs,
devaient en diffuser une version française en 1821.
De Cagliostro au Rite de Memphis
Quelques
années plus tard, en 1784, Joseph Balsamo (1743-1795), alias Cagliostro,
crée à Lyon le " Rite de la Haute Maçonnerie Égyptienne "
qui ne lui survécut pas. Historiquement, rien n’est certain sur les
origines premières du rite mis en place par son créateur après un séjour à
Malte puis à Naples. Le hiérophante ou " Grand Cophte ",
son titre en Maçonnerie égyptienne, affiche son objectif ; la construction d'un
corps de lumière, un corps glorieux. Dans les quarantaines spirituelles, il
précise : " Chacun recevra en propre le Pentagone (Étoile
Flamboyante), c'est-à-dire cette feuille vierge sur laquelle les Anges
primitifs ont imprimé leurs chiffres et leurs sceaux, et muni de laquelle il se
verra devenu Maître et chef d'exercice ; sans le secours d'aucun mortel, son
esprit est empli d'un feu divin, son corps se fait aussi pur que celui de
l'enfant le plus innocent, sa pénétration est sans limites, son pouvoir
immense, et il n'aspire à plus rien d'autre qu'au repos pour atteindre
l'immortalité et pouvoir dire lui-même : Ego sum
qui sum. " Cette immortalité étant
acquise pendant la vie physique, Cagliostro décrit ici une étape de l'alchimie
interne.
D'autres
rites se prétendront égyptiens. Au XVIIIe siècle, des grades en tous genres
sont produits en France. A la suite des tentatives régulièrement entreprises
pour les ordonner en systèmes plus ou moins cohérents, trois pôles se détachent
des autres. Ce sont le Chapitre Général de France, le Suprême Conseil du Rite Ecossais Ancien et Accepté et le Rite de Misraïm. L’existence du dernier est attestée à Venise
en 1801. Misraïm signifie en hébreu
" Égypte ". Né en Italie, mais dans l’armée
française, ce rite est un splendide produit de la Maçonnerie impériale. Il
n'est égyptien que de nom et il est bâti sur une structure kabbalistique. Il
présente l'intérêt d'avoir servi de véhicule aux Arcana
Arcanorum, d’origine italienne et lointain
écho d'une pratique issue des Mystères antiques. Développé et restructuré selon
une impressionnante échelle de grades, il fut propagé en France à partir de
1814 par Marc Bédarride, né en 1776 à Cavaillon dans
le Comtat Venaissin. Dissous le 18 Janvier 1823 par le tribunal correctionnel,
probablement en raison des sympathies napoléoniennes des frères Bédarride, demi-soldes de l’armée impériale, il ouvre
quelques loges à partir de 1831, à l’avènement de Louis-Philippe. Pour
saisir les raisons des persécutions dont il est l’objet, il faut se
souvenir que, sous la Restauration, la franc-maçonnerie était une institution
mondaine. En refusant l’intégration au très officiel Grand Orient de
France, le rite de Misraïm avait attiré les opposants
et mis en échec la politique de son Grand Maître, le maréchal Magnan. La
loge-mère " Arc-en-ciel ", seule à pratiquer le rite depuis
1856, se met en sommeil fin 1899.
Si le
Rite de Misraïm est le dernier fleuron maçonnique du
XVIIIe siècle, le Rite de Memphis est le premier grand système qui porte la
marque du XIXe. Il naît peu avant 1838 d'une synthèse effectuée par Jean
Étienne Marconis de Nègre (1795-1868) entre le Rite
de Misraïm, le Rite Écossais Ancien et Accepté et d'anciens
rites d'inspiration ésotérique ou orientale (Rite Primitif, Rite Écossais
Philosophique, Parfaits Initiés d’Égypte) avec une tonalité plus
égyptienne que le Rite de Misraïm. Le 25 Février
1841, la préfecture de police ordonne la fermeture des loges du Rite, sous le
motif qu’elles affichent des sympathies républicaines. Les travaux sont
repris en 1848. Le 21 Décembre 1851, suite au coup d’état de
Louis-Napoléon, l’Ordre est à nouveau interdit. En 1862, le Rite de
Memphis s’unit au Grand Orient qui l’admet dans son Grand Collège
des Rites. A cette occasion, Marconis abdique de sa
charge de Grand Hiérophante.
Les survivances
Venons-en
aux courants maçonniques égyptiens parvenus jusqu'à nous en gardant à
l’esprit que rien n’est simple. L’Esprit soufflant où et
quand il veut, une loge créée sans filiation administrativement acceptable peut
produire un excellent travail. Une loge disposant d'une filiation irréprochable
peut dévier au point de n'être plus qu'un club de service à vocabulaire initiatique.
Parmi les loges d’une même obédience, le meilleur et le pire se côtoient
souvent. A l'instar du nouveau riche, une petite obédience qui grandit peut
épuiser son énergie à mendier la reconnaissance des obédiences installées. Elle
sera plus connue que tel cénacle sérieux, mais discret, réunissant des frères
et soeurs de haute valeur initiatique. D’une
année à l’autre, la situation peut changer, une obédience peut se
dégrader, se figer ou s’améliorer.
Dans les
lignes qui suivent, je citerai trois survivances pour leur importance
initiatique ou quantitative. Elles ne préjugent en rien de la valeur d'autres
filiations que je n'aurais pas évoquées, parfois plus directes que celles
citées plus loin. Il existe par exemple au sein du Grand Orient de France un
Conservateur du Rite de Memphis. La patente en sa possession a pour origine
l’admission du Rite de Memphis dans le Grand Collège des Rites en 1862,
mais n’a pas conduit à la création de loges.
Via Reginald Gambier Mac Bean
Cette
filiation du Rite de Memphis passe par l’Égypte, ce qui, pour un rite de
ce nom, est la moindre des choses. En 1856, Marconis
avait constitué un Suprême Conseil du Rite de Memphis en Égypte, à Alexandrie,
sous le nom de Grand Orient d’Égypte. Le marquis Joseph de Beauregard en était
le Grand-Maître. La charte accordée donnait tous pouvoirs pour établir un
Souverain Sanctuaire, ce qui fut fait en 1867. Le Grand-Maître en était le
prince Halim Pascia, fils
de Mohammed Ali.
Le Grand
Orient d’Égypte délivra le 15 Novembre 1876 à Salvatore Sottile une charte constitutive d'un Souverain Conseil
Général administratif de l'Ordre de Memphis pour l'Italie et la vallée de
Palerme. Le 15 Juin 1890, Salvatore Sottile réveilla
le Rite à Palerme et devint Grand Maître du Grand Sanctuaire pour l'Italie. Lui
succédèrent Salvatore Mortorana (26/3/1900), Paolo Figla (21 Novembre 1901), Benedetto Trigona
(1903) et Reginald Gambier Mac Bean (1921). Après la mise en sommeil du Rite en
1906, trois Grands Patriarches le réveillèrent en 1921 ; Giuseppe Sullirao, Giovani Sottile et Reginald Gambier Mac Bean qui devient Grand
Maître pour l'Italie.
Le
Souverain Grand Sanctuaire Adriatique
Marco Edigio Allegri avait reçu le 23
Novembre 1923 une patente de Reginald Gambier Mac Bean par laquelle il devenait
Grand Conservateur à vie du Rite de Memphis de Palerme. En 1925, il avait été
promu Suprême Grand Conservateur à vie du Rite de Misraïm
de Venise. En cette même année 1925, le Rite de Memphis fut mis en sommeil à
cause de la situation politique italienne qui faisait craindre une persécution
de ses membres par le fascisme. Le 16 Mai 1945 à Venise, Marco Edigio Allegri fonda le Souverain
Grand Sanctuaire Adriatique des Rites de Misraïm et
Memphis, donnant naissance à l’Ancien et Primitif Rite de Misraïm et Memphis, qui s’articule en 95 degrés. Il
fondait le Souverain Grand Sanctuaire (Superum), le
Souverain Temple Mystique, le Sublime Consistoire des degrés 30-90 et le Chapître des Orphées. Puis il mit
en sommeil les chambres inférieures, ne conservant que les " hauts-grades ".
Pour l’anecdote, à la mort de Marco Allegri, sa
veuve confia plusieurs cartons d’archives du Rite au patriarche
catholique (romain) de Venise. Celui-ci les transmis
au Vatican. Depuis, aucun chercheur, y compris catholique romain, n’a pu
y avoir accès.
Marco Edigio Allegri mourut en Juin
1946. Le comte Ottavio Ulderico Zasio,
puis Gastone Ventura (16 Janvier 1966) lui
succédèrent. A cette époque, les membres du Grand Sanctuaire Adriatique étaient
recrutés parmi les maîtres du Droit Humain. Au solstice 1971, Ventura réveilla
le Rite dans toutes ses chambres, y compris les loges d’apprentis,
compagnons et maîtres. Sebastiano Carraciolo
lui succéda à sa mort le 28 Juillet 1982.
Comme
Cagliostro dans sa " haute maçonnerie égyptienne ", comme
le Rite de Misraïm en France au XIXe siècle, cette
lignée réunit essentiellement des maçons intéressés par un travail opératif de
haute tenue (alchimie, théurgie, astrologie). Respectant l’esprit des
rites égyptiens, elle ne se préoccupe guère de créer des loges
" bleues ". De 1946 à 1971, elle ne fit fonctionner en
Italie que les degrés se situant au-delà du 30e. Les grades
précédents étant généralement obtenus au Droit Humain. Après 1971, elle créa
quelques loges pour les trois premiers degrés. On en compte une douzaine en
Italie, quatre en France. Elle préfère établir un réseau de membres réellement
opératifs qui appartiennent à diverses cultures (de l’ésotérisme chrétien
au shivaïsme, du pythagorisme au taoïsme) et peuvent ainsi confronter leur
expérience. Aussi, plutôt que de multiplier les loges dans un même pays, cette
obédience en a créé plusieurs en Grèce, en Afrique noire, en Grande-Bretagne,
au Brésil, etc.
Comme
Cagliostro, cette obédience utilise un rite différent pour ses loges féminines.
Voici un exemple précis. Dans le rite du troisième degré, le mythe
d’Osiris est rejoué. Chacun sait qu’Osiris fut ressuscité par le
souffle d’Isis qui le releva. Or, dans le rite féminin, le seul homme
autorisé à être présent joue le rôle d’Osiris. Alors que la future
maîtresse maçonne tient le rôle d’Isis.
Pour une
grande part, les membres de cette obédience sont responsables d'autres
organisations (martinistes, pythagoriciennes, alchimiques) ou s’occupent
des publications (revues, éditions) érudites dans le domaine de
l’initiation.
Enfin, et
puisque les Arcana Arcanorum
sont à la mode dans certains milieux, précisons que ceux conservés par le GSA
sont composés de trois documents. Ventura en a brûlé un, après avoir observé
qu’à chaque fois qu’il l’employait, une guerre se
déclenchait. Le second, qui existe toujours, est composé de sceaux. Je
n’ai pas de renseignement précis sur le troisième. D’une certaine
façon, les Arcana Arcanorum
ne sont pas une fin en soi. Ils sont une introduction à un type de travail
similaire à celui proposé par Cagliostro dans sa première quarantaine.
Le
Rite égyptien des théosophes
Reginald
Gambier MacBean connaissait bien Annie Besant,
présidente de la Société Théosophique. En 1913, il était à Stockholm, présent
au Congrès Théosophique qu'elle présidait. Plus tard, il confia à un groupe de
maçons, dont Charles Webster Leadbeater et James Ingall Wedgwood une charte pour le rite de Memphis au sein
de la co-masonry,
fédération britannique du Droit Humain. Des femmes - Annie Besant et Annie Rusek par exemple - étaient " membres
secrets " de ce groupe qui reçut la charte. Leur nom ne fut pas
mentionné, car on craignait que la mixité ne déplut
aux donateurs. Cette charte fut conservée jusqu'à la guerre, époque à laquelle
sa trace fut perdue. Le Souverain Grand Commandeur T. W. Shepherd, qui avait
reçu ses grades de Leadbeater lui-même, précisa à mon
informateur qu'elle fut retrouvée dans une vieille boîte en bois à Camberley,
dans le Surrey. Elle fut renvoyée à Adyar (Madras,
Inde), quartier général de la Société Théosophique, dans l'ignorance du Droit
Humain. La co-masonry
eut comme Grand Maître Annie Besant et Jinaradasa,
tous deux présidents de la Société Théosophique. Le rôle qu'exercèrent Charles
Webster Leadbeater et Annie Besant explique le caractère
particulier, hermétiste et théosophique, des loges anglo-saxonnes du Droit
Humain. Le Rite dit " de Sydney ", réécriture du Rite Emulation à la lumière des enseignements théosophiques, est
le plus employé au sein de la co-masonry. Mais quelques loges de Rite Égyptien
subsistent en milieu théosophique, dont une à Sydney, ville où résida Charles
Webster Leadbeater.
Via John Yarker
En 1862,
après abdication de sa charge de Grand Hiérophante mondial, Marconis
octroie une charte du Rite de Memphis, sans pouvoir juridique de le faire, pour
la constitution d’un Souverain Sanctuaire aux Etats-Unis.
Le 4 Juin 1872, John Yarker reçoit des Etats-Unis une charte pour la constitution d’un
Souverain Sanctuaire pour l’Angleterre et l’Irlande. En 1902, à la
suite de divers conflits au sein du Grand Orient d’Égypte, le Grand
Hiérophante du Rite de Memphis, Francesco degli Oddi démissionna de ses fonctions. John Yarker,
ancien vice Grand Hiérophante pour l'Europe, se considéra de facto comme
le nouveau Grand Hiérophante mondial de Memphis et Misraïm.
Cette nomination ne fut pas entérinée par l’Égypte et en 1903, Francesco degli Oddi transmit ses titres de
Grand Maître du Grand Orient d’Égypte et Grand Hiérophante du Rite de
Memphis au frère Idris Bey Ragheb.
Ce même Yarker institue l’Antient
and Primitive Rite, fusion des rites de Memphis et Misraïm
sous la forme d’un Rite en 97 grades, en grande partie calqué sur les 33
premiers grades du Rite Ecossais Ancien et Accepté. Mais
quelle autorité avait délivré une charte du Rite de Misraïm
à Yarker ?
De la
Grande Loge française de Memphis-Misraïm à la laïcité
Theodor Reuss, Grand Maître du Souverain Sanctuaire d'Allemagne
par une charte reçue le 24 Septembre 1902 de John Yarker,
dirigeait également l'O.T.O. (Ordo Templi Orientis) et diverses petites sociétés paramaçonniques. Sans
avoir l'autorité pour le faire -il n'était pas Grand Maître Général-, il
accorda en date du 24 Juin 1908 à Berlin la constitution à Paris d'un Suprême
Grand Conseil et Grand Orient du Rite Ancien et Primitif. Pourtant, John Yarker, chef mondial du Rite, était seul habilité à créer
de nouveaux Souverains Sanctuaires, si l'on ferme les yeux sur les origines
illicites de sa filiation du Rite de Memphis, sur son auto-nomination comme
Grand Hiérophante de ce Rite et sur l’absence de patente du Rite de Misraïm. Outre la triple illégitimité de son origine, ce
Suprême Grand Conseil français se trouvait dans une position ambiguë. Il
n'avait pas rang de Souverain Grand Sanctuaire (nom donné aux Grands Loges dans
le Rite Ancien et Primitif) et ne pouvait donc pas fonder de nouvelles loges. Le
texte de la patente berlinoise, perdue (!), est connu par le compte rendu du
convent de Juin 1908. Il ne prévoyait pas la possibilité de créer des organismes
subordonnés (loges, chapitres, etc.).
John Yarker fut le dernier Grand Hiérophante mondial de cette
lignée. Après sa mort, le 20 Mars 1913, le Souverain Grand Sanctuaire (Theodor Reuss, Aleister Crowley,
Henry Quilliam, Leon Engers-Kennedy) se réunit à Londres le 30 Juin 1913. A
l’unanimité, le frère Henry Meyer, habitant 25 Longton
Grove, Sydenham, S.E., County de Kent, fut nommé
Souverain Grand Maître Général. Theodor Reuss,
Souverain Grand Maître Général ad Vitam pour l’Empire Germanique
et Grand Inspecteur Général, participait à cette réunion. Les minutes de la
convocation précisent que Aleister
Crowley proposa la nomination de Henry Meyer aux fonctions de Grand Maître
Général, appuyée par Theodor Reuss qui
l’approuva et la signa. Néanmoins, le 10 Septembre 1919, se considérant
comme Souverain Grand Maître Général mondial, Theodor
Reuss délivra à Jean Bricaud une charte pour la
reconstitution en France d'un " Souverain Sanctuaire de Memphis-Misraïm ".
De 1936 à
1939, ce Rite connut une période prospère, pendant laquelle Constant Chevillon
ouvrit de nombreuses loges en France et à l'étranger. Pendant la guerre, la
franc-maçonnerie et les autres sociétés initiatiques furent interdites. Cependant
Robert Ambelain, reçu apprenti en 1939 dans une loge parisienne
de Memphis-Misraïm, Jérusalem des Vallées
égyptiennes, par Chevillon et Nauwelaers, réussit
à rouvrir clandestinement en 1942, à son domicile, une loge maçonnique, Alexandrie
d’Égypte. C’est là que Robert Amadou fut reçu en 1943.
Chevillon
ayant été assassiné en mars 1944 par des miliciens, Henri-Charles Dupont prit
légitimement la direction de l'Ordre à la Libération. Après quelques
vicissitudes, Henri Dupont mourut le 1er Octobre 1960, laissant à Robert Ambelain sa succession maçonnique. Le 22 Juin 1963, le
nouveau Souverain Grand Maître général rétablit le Rite de Memphis-Misraïm, réussissant au fil des ans à mettre sur pied une
dizaine de loges au travail remarquable. Dans la nuit du 31 Décembre 1984 au
1er Janvier 1985, Robert Ambelain transmit sa charge
de Grand Maître à vie à Gérard Kloppel. Le souhait de
trouver place parmi les grandes obédiences conduisit à d’indispensables
compromis. On assista à la multiplication des loges bleues, à une banalisation
des travaux. Néanmoins, certains dirigeants (dont Gérard Kloppel
lui-même) demeuraient de véritables " opératifs ". Les
membres qui avaient connu l’époque " Ambelain "
furent nombreux à se retirer. Plusieurs loges rejoignirent la dissidence
qu’il avait initiée quelques années plus tard. En 1997, l’obédience
se désintégra en raison d’un coup d’état interne. Une partie des
loges forma une obédience lancée par des responsables du Memphis-Misraïm de Gérard Kloppel. Cette
obédience s’affiche aujourd’hui " laïque, républicaine,
démocratique "! Elle considère l’occultisme " comme
cette littérature indigeste, confuse, laborieuse et infatuée qui n’a
réussi qu’à mettre un peu plus de fumée dans des cervelles déjà
échauffées par le théosophisme dont Guénon a si bien mené le procès! "
Dans le même état d’esprit, comme en témoignent ses publications, un
dernier groupe de loges intégra le Grand Orient de France qui, pour saisir
l’opportunité, accepta en 1999 la création de loges de Rite Egyptien en son sein. Enfin, quelques loges restèrent
fidèles à la Grande Loge française de Memphis-Misraïm,
désormais dirigée par un autre grand-maître.
Bibliographie
BAYARD,
Jean-Pierre, La spiritualité de la Franc-Maçonnerie,
Dangles, Paris, 1982.
BONARDEL,
Françoise, L’hermétisme, Presses Universitaires de France, Paris,
1985.
CAILLET,
Serge, Arcanes et rituels de la maçonnerie égyptienne, Guy Trédaniel, Paris, 1994.
GALTIER,
Gérard, Maçonnerie Égyptienne, Rose-Croix et Néo-Chevalerie, Le Rocher,
Paris, 1989.
GIUDICELLI
DE CRESSAC BACHELERIE, Jean-Pierre, Franc-Maçonnerie
et égyptologie, in Actualité de l'histoire mystérieuse.
GOBLET
D'ALVIELLA, Eugène-Félicien-Albert, Des origines du grande de maître dans la
franc-maçonnerie, Guy Trédaniel, Paris, 1983.
MALLINGER,
Jean, Les origines égyptiennes des usages et symboles maçonniques, F. Planquart, Lille, 1978.
MALLINGER,
Jean, Les rites " égyptiens " de la Maçonnerie, in
Inconnues Volume n°12, Lausanne, 1956.
THE EQUINOX, Volume III, n°10, article In Memoriam, John Yarker.
THE
KNEPH, journal du Rite Ancien et Primitif, édité par John Yarker
à partir de 1885.
TILLETT, Gregory, The elder brother, Routledge and Kegan,
VENTURA, Gastone, Les Rites maçonniques de Misraïm
et Memphis, Maisonneuve et Larose, Paris, 1986.
Remerciements
Je
remercie particulièrement J.F. et F.M, qui m’ont permis d’accéder
aux documents concernant la nomination d’Henry Meyer et les survivances
du Rite Egyptien dans la Co-masonry,
via les membres de la Société Théosophique. Ces informations
n’avaient jusque là jamais été publiées en langue française. Je remercie
également G.S et P.M pour la relecture critique de ce texte et leurs
suggestions.
PETITE HISTOIRE DES
RITES MACONNIQUES EGYPTIENS
Denis Labouré
Petite histoire des
Rites Maçonniques Egyptiens. Texte complet sur http://www.multimania.com/cirer/accueil.htm Denis Labouré, astrologue (3, avenue de la
Libération 42000. Saint-Etienne. France. Tel 04 77 41 40 40
Fax 04 77 38 69 57). Contient des textes d’astrologie et
d’ésotérisme. Liens avec des sites et revues d’Hermétisme. www.astrocours.fr.st Divers exposés sur la FM, l’hermétisme et l’alchimie. http://perso.wanadoo.fr/chrysopee/ |